Un patient atteint du Covid-19 peut-il exiger d’un professionnel de santé qu’il lui administre un traitement pour lequel il n’existe pas de consensus scientifique et dont il pense, à l’instar d’une partie du corps médical, qu’il pourrait lui sauver la vie ?

Au regard de la position actuellement adoptée par le Gouvernement et nonobstant la publication des décrets 2020-314 du 25 mars 2020 et 2020-337 du 27 mars 2020, la réponse pourrait varier selon le profil clinique du patient et mettra en concurrence plusieurs libertés fondamentales :

  • le droit fondamental de chaque patient au respect de sa vie et de son consentement, expression de la liberté individuelle et de la dignité humaine ; l’article L. 1110-5 du Code de la santé publique consacre le droit pour toute personne, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, « de recevoir, sur l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté » ;
  • la liberté thérapeutique du médecin mise en exergue régulièrement par le Conseil d’Etat qui rappelle qu’il n’existe aucune disposition consacrant le droit du patient à choisir son traitement en vertu de l’article R. 4127-8 du Code de la santé publique selon lequel « le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance »
  • et l’opportunité de collaborer pour agir au mieux des intérêts du patient comme le suggère l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique qui dispose que « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ».

1 – S’agissant de l’équipe médicale d’un établissement de santé

Le Juge administratif qui serait saisi dans le cadre de l’urgence, sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, par un patient contaminé par le Covid-19, pourrait-il imposer à une équipe médicale le recours à l’hydroxychloroquine pour traiter l’infection virale dont il est atteint ?

Avant d’enjoindre à une équipe médicale d’administrer ce traitement, il appartiendra au Juge :

  • de contrôler les diligences accomplies par l’équipe médicale pour déterminer le traitement le plus approprié à l’état du patient,
  • de définir les risques encourus par le patient du fait de l’administration du traitement,
  • de déterminer les bénéfices légitimement attendus,
  • et de vérifier le bien-fondé de la décision prise par l’équipe médicale, étant rappelé que le médecin ne dispose pas d’un blanc-seing dans le choix du traitement à mettre en œuvre.

A ce jour, aucun traitement n’a été officiellement validé pour soigner la maladie provoquée par le virus Covid-19. Pour autant, il existe des pistes encourageantes de traitement.

Les deux études observationnelles réalisées par l’équipe du Professeur Didier Raoult, Directeur de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille, portant sur l’efficacité de la chloroquine associée à un antibiotique pour traiter les patients touchés par le Covid-19, montrent des signes encourageants de guérison pour la plupart des patients.

Néanmoins, ces conclusions n’ont pas su convaincre le Haut Conseil de la Santé Publique qui estime que « ces résultats exploratoires doivent être considérés avec prudence en raison du faible effectif de l’étude, incluant en partie des patients asymptomatiques, de l’absence de bras témoin, du critère de jugement uniquement virologique (pas de données cliniques) » et qu’« ils ne permettent pas de conclure à l’efficacité clinique de l’hydroxychloroquine ou de l’association hydroxychloroquine + azithromycine, mais demandent à être confirmés (ou infirmés). »

Dans son avis du 23 mars 2020, le Haut Conseil de la Santé Publique a recommandé l’utilisation de la chloroquine pour les formes les plus graves du coronavirus, traitées en milieu hospitalier, sur décision collégiale des médecins et sous surveillance médicale stricte.

Fort de son pouvoir de recommandation, le Haut Conseil de la Santé Publique préconise que « tout prescripteur prenne en compte l’état très limité des connaissances actuelles et soit conscient de l’engagement de sa responsabilité lors de la prescription de médicaments dans des indications hors AMM, en dehors du cadre d’essais cliniques », précisant que « si une telle prescription est faite, qu’elle fasse l’objet d’une information claire, loyale et appropriée, que la décision soit prise collégialement, et que les patients soient inclus dans la cohorte French COVID-19 de façon à disposer le plus rapidement possible de données concernant la prise en charge. »

Dès lors, il semble qu’un établissement de santé pourrait se voir obliger par le Juge administratif, de délivrer un traitement à base de chloroquine :

    • en ce qu’il a été testé avec succès sur des dizaines de patients,
    • qu’il n’existe pas de traitement curatif alternatif,
    • que le patient ne présente pas de prédispositions à ce protocole thérapeutique,
    • et qu’il présente un risque sérieux de complications graves ou de décès lié à son infection au Covid-19.

A contrario, la requête déposée par le patient désireux de bénéficier d’un traitement à base de chloroquine, pourrait être rejetée si les risques liés à l’utilisation d’un tel traitement étaient estimés supérieurs au bénéfice escompté par le corps médical.

2 – Quid du médecin libéral ?

Pour le Haut Conseil de la Santé Publique, est exclue toute prescription par la médecine de ville et pour des cas non sévères, motifs pris que « l’hydroxychloroquine peut provoquer des hypoglycémies sévères et entraîner des anomalies ou une irrégularité du rythme cardiaque pouvant engager le pronostic vital », que « ce médicament comporte des contre-indications notamment en cas d’association à d’autres médicaments » et « qu’un surdosage peut entraîner des effets indésirables graves pouvant mettre en jeu le pronostic vital. »

Les médecins libéraux ne sont donc pas concernés par les décrets précités.

Pour autant, un médecin peut toujours prescrire de la chloroquine à un patient atteint du Covid-19, à la condition de mentionner «hors AMM » sur son ordonnance, ce qui entraine deux conséquences :

  • le traitement ne sera pas remboursé par l’Assurance Maladie,
  • et sa responsabilité (disciplinaire, civile et/ou pénale) pourrait être engagée en cas d’effets indésirables préjudiciables pour le patient dont il ne l’aurait pas informé (les risques encourus ne sont pas forcément tous connus puisque le dosage nécessaire au traitement du Covid-19 est très supérieur aux doses prescrites traditionnellement), en cas d’absence de consentement libre et éclairé, ou en cas de manquement au principe de proportionnalité entre les risques encourus et les avantages escomptés.

3 – Quelles obligations pour le pharmacien ?

S’agissant des pharmaciens, l’article R 4235-61 du Code de la santé publique prévoit : « lorsque l’intérêt de la santé du patient lui paraît l’exiger, le pharmacien doit refuser de dispenser un médicament. Si ce médicament est prescrit sur une ordonnance, le pharmacien doit informer immédiatement le prescripteur de son refus et le mentionner sur l’ordonnance. » Bénéficiaires d’une clause de conscience, les pharmaciens ont la liberté de délivrer, ou non, l’hydroxychloroquine prescrite par un professionnel de santé pour traiter le Covid-19.